Comment faire de la bière sans alcool à la maison
Longtemps confidentielle, la bière sans alcool (ou faiblement alcoolisée) est aujourd’hui un incontournable des rayons.
Et cette tendance séduit désormais les industriels comme les brasseurs amateurs. Même des stars internationales comme l'acteur Tom Holland se lancent dans l'aventure.
Il faut dire que la promesse est belle : profiter du goût de la bière sans subir les effets de l'alcool.
Toutefois, en matière de brassage, il est plus simple de produire de l'alcool que de ne pas en produire – surtout dans un cadre amateur – et ce mode de production n'est pas sans risque sanitaire.
Dans ce guide, vous trouverez ce qu'il y a à savoir sur :
- la réglementation actuelle, notamment en matière de restriction du volume d'alcool ;
- les techniques pour désalcooliser une bière ou pour éviter la production d'alcool ;
- les principaux risques sanitaires et comment vous en prémunir ;
- les ingrédients à privilégier pour des bières savoureuses ;
- enfin, nous vous livrons nos conseils de brasseurs amateurs pour réussir vos brassins.
Bières sans alcool ou à faible teneur en alcool : quelles différences ?
Pourquoi brasser de la bière sans alcool ?
Deux grandes techniques de brassage : désalcoolisation et limitation de la production d'alcool
- Désalcoolisation par ébullition
- Empâtage avec une base maltée adaptée
- Brassage à froid
- Fermentation avec des levures à faible atténuation
- Arrêt de la fermentation
- Récupération des drêches d'un précédent brassin
Les risques sanitaires des bières No-Low
- Un réel risque de prolifération bactérienne
- Limiter les risques
- Conditions de conservation recommandées
Bières sans alcool ou à faible teneur en alcool : quelles différences ?
L'appellation « bière sans alcool » est assez floue et ne désigne pas uniquement les bières avec un taux d'alcool strictement égal à 0 %.
Quelques rappels importants :
- Pour qu'une boisson soit appelée « bière », elle doit répondre à des critères précis, notamment inclure des céréales maltées, du houblon, du sucre et de l'eau potable. Surtout, le moût doit être fermenté. Ainsi, une eau houblonnée (hop water) n'est pas une bière.
- La dénomination « bière sans alcool » est réservée aux bières dont le produit fini présente un titre alcoométrique inférieur ou égal à 1,2 %, à la suite d'une désalcoolisation ou d'un début de fermentation. Si elle est mélangée à de l'eau pétillante aromatisée, cela devient un panaché.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le texte de loi qui encadre la fabrication de bière sur le site Légifrance.
À noter que de nombreux pays du monde sont plus rigoureux et imposent un titre alcoométrique inférieur à 0,5 %, voire 0,1 % pour les Pays-Bas.
Il est donc tout à fait légal de trouver des traces d'alcool dans des bières dites « sans alcool ». Aussi, nous vous conseillons de lire attentivement les étiquettes avant tout achat.
Attention
De nombreux industriels jouent sur cette tolérance pour ne pas communiquer clairement sur la présence d'alcool dans leur bière.
L'argument mis en avant : des taux infimes n'auraient pas d'incidence sur la santé.
Cette assertion n'est toutefois pas prouvée chez les femmes enceintes, tandis que la présence d'alcool, même en très petite quantité, peut provoquer une rechute chez d'anciens alcooliques.
Que vous soyez un brasseur amateur qui distribue ses bières à son entourage ou un microbrasseur qui les vend, nous vous recommandons d'être transparent sur le degré d'alcool de vos boissons. Ne réservez l'appellation « sans alcool » qu'aux bières qui n'en contiennent vraiment pas.
Des propositions d’appellations plus adaptées sont détaillées ci-dessous.
Pour pallier au problème posé par l'utilisation générique de l'appellation « sans alcool », de nouvelles dénominations ont émergé, distinguant les bières ne contenant pas d’alcool du tout de celles très peu alcoolisées :
- NABLABS pour no alcohol beers and low alcohol beers (bières sans alcool et faiblement alcoolisées). On peut aussi trouver No-Low beers et NA/LA, qui ont la même signification.
Dans la suite de ce guide, nous utiliserons régulièrement le terme No-Low. - Bière de table, pour une bière légère (en dessous de 4 % d'alcool), parfois aussi appelée micro bière en référence aux small beer anglo-saxonnes.
- 0,0 % pour les bières réellement sans alcool.
Pourquoi brasser de la bière sans alcool ?
Les raisons qui poussent les brasseurs, amateurs comme industriels, à s'intéresser aux bières sans alcool sont nombreuses. Voici les trois principales :
- Toucher de nouveaux consommateurs : femmes enceintes, sportifs, certains musulmans, personnes intolérantes à l'alcool, sous traitement médicamenteux, automobilistes… De manière générale, toute personne qui a envie de déguster une bière sans subir l'effet de l'alcool pour des raisons de santé, de diététique ou de religion.
- Expérimenter de nouvelles techniques de brassage. Comme nous le verrons ci-après, brasser des bières No-Low représente un défi technique, notamment pour les brasseurs amateurs qui n'ont pas accès aux moyens des industriels.
- Contourner des législations locales, comme la loi Évin en France (qui autorise la publicité pour des bières de moins de 1,2 % d'alcool). Cela n'est toutefois pas sans risque et ne doit pas être votre motivation première.
En raison de sa complexité, le brassage sans alcool n'est pas recommandé aux brasseurs débutants. Nous vous conseillons de faire quelques brassins « classiques » au préalable.
Deux grandes techniques de brassage : désalcoolisation et limitation de la production d'alcool
Comme nous l'avons rappelé dans la section dédiée à la réglementation, pour que votre boisson soit considérée comme une bière No-Low, il faut d'abord que ce soit une bière. Cela implique qu'il y ait fermentation, donc fabrication d'alcool.
Pour réduire ou supprimer l'alcool, deux options s’offrent à vous :
- Retirer l'alcool de la bière, ce que l'on appelle la désalcoolisation. C'est une procédure très complexe et coûteuse, difficilement accessible aux brasseurs amateurs.
- Limiter la production d'alcool, en agissant soit sur la quantité de sucres fermentescibles produits, soit sur leur transformation en alcool lors de la fermentation.
Il est donc quasiment impossible pour un amateur de produire une bière à 0,0 % d'alcool, à moins de sous-traiter la désalcoolisation à des entreprises spécialisées, ce qui peut s'avérer coûteux.
En revanche, il est plus facile d'en limiter la production grâce à différentes techniques détaillées dans ce guide.
Désalcoolisation par ébullition
L'ébullition est la seule technique de désalcoolisation accessible aux brasseurs amateurs, mais elle reste complexe à maîtriser et ne permet pas de supprimer l'intégralité de l'éthanol. Ce processus consiste à chauffer la bière à environ 80 °C pour éliminer l'alcool, sans avoir à faire bouillir l'eau de la bière (le point d'ébullition de l'éthanol étant situé à 78,5 °C).
Elle présente toutefois quelques inconvénients majeurs :
C'est une méthode longue…
Réduire la quantité d'éthanol à un niveau inférieur à 1,2 % prend du temps. Voici une estimation moyenne de la quantité d'éthanol restante en fonction de la durée d'ébullition :
- 30 minutes : 35 %
- 1 heure : 25 %
- 1,5 heure : 20 %
- 2 heures : 10 %
- 2,5 heures : 5 %
À noter que le temps exact peut varier selon la température d'ébullition et la pression atmosphérique. Il vous faudra donc entre 2,5 et 3 heures pour amener une bière titrant à 5 ° à 0.5 °.
C'est donc une technique chronophage et potentiellement coûteuse selon votre source d'énergie.
… incertaine…
Sans un équipement onéreux ou une analyse en laboratoire, il est très difficile pour un brasseur amateur de déterminer avec précision le pourcentage d'alcool restant.
Vous pouvez toutefois l'estimer à partir des densités originales et finales et avec l'aide de notre calculateur, mais cela reste imprécis, surtout si vous refermentez en bouteille. En effet, cette technique de carbonatation peut faire gagner jusqu'à 0,5 % d'alcool supplémentaire à votre bière.
… et qui peut déséquilibrer votre bière.
Cette nouvelle chauffe après fermentation peut fortement augmenter l'amertume apportée par les acides alpha du houblon, et donc déséquilibrer la bière. Il est conseillé de limiter la quantité de houblon amérisant ou de favoriser le houblonnage tardif, voire le dry hop (houblonnage à cru).
Conseil de brasseur
Soyez attentifs à bien filtrer votre bière après la fermentation pour éviter de chauffer des résidus de levures qui pourraient détériorer son goût final.
En outre, comme vous allez devoir carbonater votre bière au moment de l'embouteillage, la présence de résidus de levure peut s’avérer problématique en cas de refermentation en bouteille.
Attention aussi aux risques d'oxydation, notamment lors du transfert entre le fermenteur et la cuve de chauffe ou durant la chauffe. Comme l'eau ne bout pas, les éventuels contaminants ne pourront être détruits.
Empâtage avec une base maltée adaptée
Cette technique consiste à favoriser des malts au faible pouvoir diastasique (capacité à transformer l'amidon de la céréale en sucres fermentescibles). Comme il y a moins de sucres fermentescibles, les levures produisent moins d'alcool.
Cela peut toutefois se faire au détriment de la rondeur et de la sensation en bouche de la bière. Pour éviter cela, vous devrez choisir avec précaution vos malts spéciaux et vos adjuvants (voir nos conseils plus loin dans ce guide).
Cette méthode fait également ressortir l'amertume du houblon, qui devient plus marquée. Pour une bière plus équilibrée, nous recommandons de viser une amertume entre 10 et 35 IBU.
Pour limiter encore plus la fabrication de sucres fermentescibles, la température d'empâtage recommandée doit se situer aux alentours de 70 °C minimum afin de favoriser le travail des alpha-amylases.
La durée d'empâtage peut être réduite à 30 minutes ou moins, en fonction de la température et du pH de votre eau. Un empâtage trop long peut provoquer l'apparition de tanins indésirables, amenant des saveurs astringentes, amères et granuleuses.
À noter que jouer sur la finesse du concassage du malt ne semble pas avoir d'impact sur le taux d'alcool final.
Bon à savoir
Une expérience menée par Craig Dillon1 (un des deux auteurs du site anglophone de référence Ultralow Brewing) démontre qu'augmenter la température d'empâtage de 10 °C permet de réduire le taux d'alcool de 0,6 point.
Dans cette expérience, il compare deux brassins d'une même bière (une English IPA). Entre ces deux brassins, seule la température d'empâtage diffère : 72 °C pour le premier et 82 °C pour le second.
La densité initiale du second brassin était de 1,013 (contre 1,015 pour le premier brassin) et son atténuation de 38,2 % (contre 66,3 %). De ce fait, le taux d'alcool final était de 0,7 %, contre 1,3 % pour le premier brassin.
Visuellement, les deux bières étaient assez similaires, avaient le même corps et une texture en bouche identique. À la dégustation, la première bière semblait toutefois légèrement plus sucrée.
Brassage à froid
Le brassage à froid, aussi appelé brassage non enzymatique, consiste à empâter une base maltée à basse température pendant 8 à 24 heures.
Ici, le choix de la base maltée n'est pas aussi important que dans la technique précédente. N'importe quel malt utilisé pour brasser une bière titrant entre 3,5 et 6 ° peut faire l'affaire.
Cependant, l'objectif de cette méthode étant d'extraire la couleur et les saveurs du malt sans transformer l'amidon en sucres, on privilégiera les malts les plus riches en saveurs. Attention toutefois à ce que la saveur du grain ne domine pas trop dans le produit final, à moins que cette caractéristique ne soit délibérément recherchée.
En l'absence de chauffe, les enzymes n'ont pas la possibilité de travailler de manière optimale. De ce fait, moins de sucres fermentescibles sont extraits.
Dans le détail, voici comment procéder :
- Dans une cuve de brassage ou n'importe quel contenant adapté, ajouter le malt dans les mêmes quantités que pour un brassin « classique ».
- Ajouter de l'eau en quantité suffisante pour bien hydrater les céréales. Le maltier Breiss, à l'origine de cette méthode, recommande un volume d'eau équivalent à 4 fois le poids en céréales. Par exemple, 20 litres d’eau pour 5 kg de céréales.
- Si vous optez pour une extraction passive, vous pouvez laisser la cuve au réfrigérateur pendant plus de 8 heures. Ce processus peut être ramené à environ une heure si la cuve est agitée en continu, ou en faisant circuler l'eau.
- Séparez doucement le moût des drêches en évitant de transférer les résidus présents en fond de cuve. À ce stade, il est normal que le moût soit trouble, en raison du grand nombre de particules en suspension. Il devrait se clarifier lors de l'étape suivante.
- Versez le moût dans une cuve chauffante et portez la température à 65 °C, jusqu'à ce que la conversion de l'amidon en sucres soit complète. L'empâtage prend en général une heure, parfois un peu plus ou un peu moins. Un test à la teinture d'iode vous permettra de contrôler s'il reste ou non de l'amidon.
Le reste du brassage (ébullition et fermentation) s’effectue comme d'habitude.
L'utilisation de cette méthode avec une recette standard de densité 1,050 donnera une bière titrant entre 1 et 1,5 ° d'alcool, avec une excellente sensation en bouche et une bonne tenue de mousse.
Fermentation avec des levures à faible atténuation
Avec la popularité croissante des bières No-Low, les levuriers ont cherché à isoler des souches de levures à faible atténuation (capacité d'une levure à métaboliser les différents glucides du moût).
White Labs, Lallemand ou encore Fermentis ont ainsi ajouté à leur gamme des levures dites maltose negative (ou maltotriose negative). Ces souches ont la particularité de ne pas fermenter les sucres complexes : la fermentation s'arrête automatiquement une fois les sucres simples (fructose et glucose) transformés.
Elles présentent toutefois quelques inconvénients.
- La fermentation est plus lente et engendre une faible diminution du pH (ce qui, on le verra plus loin, peut poser des problèmes sanitaires).
- Les risques de faux-goût sont importants en raison de la faible réduction des aldéhydes qui en sont responsables.
- Ces souches nécessitent l'ajout de nutriments (dont le zinc, essentiel à la reproduction des levures) pour compenser le manque de minéraux dans le moût.
L'utilisation de ces levures, couplée à un empâtage à haute température, permet de réduire à 0,5 % le degré d'éthanol.
Arrêt de la fermentation
Dans les années 1990, on produisait de la bière sans alcool en fermentant un brassin classique à basse température, avec des levures de type Lager. La fermentation était alors suivie très régulièrement et arrêtée au bout de quelques heures, dès qu'elle atteignait 0,5 % d'alcool.
Cette méthode était particulièrement contraignante et nécessitait parfois de procéder à des mesures de densité en pleine nuit ou le week-end. En outre, elle avait l'inconvénient de laisser des faux-goûts résiduels et désagréables2 de moût (goûts âcres, avec de la fausse amertume).
Avec le temps, les techniques se sont affinées. Aujourd'hui, trois méthodes principales permettent de forcer l'arrêt d'une fermentation :
- Par la chaleur
En chauffant la bière, vous réduisez l'activité des levures, limitant ainsi la production d'éthanol tout en conservant la sucrosité du moût, du fait de la fermentation incomplète. Pour cela, vous pouvez chauffer vos bouteilles à 60 °C pendant 15 minutes. Ce procédé est toutefois complexe à réaliser chez soi, car la température doit pouvoir monter rapidement pour qu'il soit réellement efficace. - Par refroidissement
En refroidissant la bière à une température proche du point de congélation, la levure devient inactive. Elle peut alors être filtrée. - Chimiquement
L'ajout de métabisulfite de potasse (aussi appelée tablettes Campden) et de sorbate de potassium (acide sorbique), séparément ou conjointement, est un moyen efficace d'arrêter toute fermentation ultérieure, notamment en cas de resucrage en bouteille. Ces produits doivent toutefois être utilisés avec modération, notamment les sulfites, limités à 20 mg/l ou 50 mg/l pour les bières non filtrées3.
Récupération des drêches d'un précédent brassin
La dernière méthode que vous pouvez envisager est de réutiliser les drêches d'un précédent brassin.
Il s’agit de la méthode autrefois appliquée dans les abbayes : les céréales étaient utilisées trois fois, produisant chaque fois une bière un peu moins alcoolisée. La bière la moins alcoolisée, appelée tertia, titrait alors à environ 3° et était consommée lors des repas quotidiens.
Il est toutefois fort probable qu'une bière obtenue avec ce procédé soit assez fade et nécessite l’ajout d’adjuvants pour lui apporter un peu plus de corps et de rondeur.
Bon à savoir
Il n'existe pas encore de kits pour bière sans alcool. Nous sommes toutefois en train de travailler sur un kit tout grain, sur la base de cette recette de blonde (encore en test au moment de la rédaction de cet article). N'hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus. Dans cette recette, nous utilisons une levure à faible atténuation.
Les risques sanitaires des bières No-Low
Lors de vos brassins, vous devrez être irréprochable quant à l'hygiène de votre espace de brassage, ainsi que pour la conservation de vos bouteilles.
A minima, le risque est de contaminer votre boisson avec des résidus de levure d'un précédent brassin, faussant votre évaluation du taux d'alcool et augmentant le risque d'explosion de la bouteille.
Certaines infections sont toutefois plus problématiques que d'autres et peuvent présenter de sérieux problèmes sur le plan sanitaire.
Un réel risque de prolifération bactérienne
Habituellement régulée par l'alcool, la prolifération des bactéries est un risque important avec les bières en dessous de 3° d'alcool.
Ce risque est accentué par un pH faible et le faible dosage d'acide alpha apporté par le houblon. Pour rappel, ces derniers sont responsables de l'amertume de la bière, mais jouent également un rôle antiseptique.
Les bières No-Low sont donc de potentielles bombes bactériennes.
Limiter les risques
Pour limiter les risques de contamination, le pH en fin de fermentation ne devra pas être inférieur à 4.
Il est aussi crucial que le matériel qui entre en contact avec le moût soit parfaitement propre et désinfecté, notamment lors de la fermentation et de l'embouteillage.
La réalisation d'un cold crash (refroidissement rapide) en fin de fermentation permet également de limiter le développement des bactéries.
Le moyen le plus efficace reste toutefois la pasteurisation des bouteilles pleines. Pour des petits brassins, un bain-marie chauffé entre 65 et 80 °C suffit. Veillez cependant à ne pas trop faire chauffer la bière au risque de l'altérer.
Important à savoir
D'après l'Association internationale pour la protection alimentaire, les bières No-Low constituent un milieu propice au développement de pathogènes alimentaires.
Dans une étude de 2023 (en anglais), des chercheurs de l'association ont inoculé des échantillons de bière avec trois bactéries : Escherichia coli, Salmonella enterica et Listeria monocytogenes. Pour rappel, les infections à ces bactéries sont graves et, dans certains cas, mortelles.
Les échantillons ont ensuite été conservés deux mois à deux températures différentes : 39 °F (3,8 °C) et 57 °F (13,8 °C).
Les résultats sont assez édifiants :
- Dans la bière sans alcool, toutes les bactéries ont survécu et se sont développées, indépendamment de la température.
- Dans la bière faiblement alcoolisée, la quantité d'Escherichia coli et de salmonelles a doublé dans l'échantillon conservé à 13,8 °C. La listeria est restée indétectable, quelle que soit la température de conservation.
Cette expérience souligne l'importance de la pasteurisation pour vos brassins et se conclut en rappelant que les bières No-Low doivent être considérées comme des aliments, et non des bières.
Conditions de conservation recommandées
La conservation des bières No-Low à faible teneur en alcool présente un véritable défi, car leur durée de vie est plus courte que celle d'une bière alcoolisée. La plupart commencent d'ailleurs à se dégrader au bout de six mois.
Une fois conditionnée, si vous ne pouvez pas la consommer rapidement, la bière devra être stockée verticalement et au frais (température stable entre 5 °C et 15 °C) pour limiter les risques de contamination bactérienne ou de refermentation.
Si vous avez relancé une fermentation en bouteille, nous vous recommandons de conserver celles-ci dans un endroit fermé pour limiter les dégâts en cas d'explosion d'une ou plusieurs bouteilles.
Nos conseils pour choisir vos ingrédients
Comme pour toute bière, alcoolisée ou non, le choix des ingrédients est primordial.
L'eau
Le principal élément à contrôler concernant votre eau de brassage est son pH : entre 5,1 et 5,5, il contribue à améliorer la saveur et la stabilité de la bière.
S'éloigner de cette plage optimale n'est pas recommandé et peut entraîner de nombreux problèmes tels que des saveurs désagréables et une réduction du corps et de la sensation en bouche.
Celui-ci doit être vérifié aux différentes étapes du brassin : lors de l'empâtage, lors de l'ajout d'eau de rinçage et après ébullition.
Vous pouvez aussi faire ressortir les saveurs maltées en optimisant le profil de l'eau grâce à l'ajout d'ions chlorure (chlorure de calcium ou de potassium, sel de table…) à une concentration recommandée de 50 ppm.
Bon à savoir
Pour comprendre l'impact du pH sur les bières faiblement alcoolisées, Craig Dillon1 (dont nous avons déjà parlé précédemment) a réalisé une expérience avec trois brassins strictement identiques, hormis pour le pH de l'eau : 4,7 pour le premier brassin, 5,2 pour le second et 6,4 pour le dernier.
La plupart des caractéristiques des bières étaient identiques, excepté la gravité finale et l'atténuation (et donc le taux d'alcool) de la troisième bière. Celle-ci avait un taux d'alcool 0.2 % inférieur aux deux autres.
À la dégustation, les différences étaient flagrantes :
- La première bière avait une apparence similaire à la deuxième, mais présentait une saveur maltée plus prononcée et une amertume très douce.
- La seconde était bien équilibrée, avec une finale plus claire, un caractère malté plus doux et une amertume bien présente.
- La troisième présentait une texture en bouche plus fine, une apparence plus sombre et trouble, ainsi qu'une amertume plus prononcée.
En savoir plus sur la correction du pH de votre eau de brassage.
Les malts
Le malt joue un rôle important dans la limitation de la production d'éthanol. Voici quelques règles à respecter pour la constitution de votre base maltée :
- Utilisez des malts riches en sucres non fermentescibles, et qui donneront du corps à la bière. Vous aurez toutefois besoin d'un minimum de malts diastasiques, qui apporteront les sucres fermentescibles nécessaires pour lancer la fermentation.
- Infusez des grains torréfiés ou d'autres céréales (avoine, seigle, quinoa, riz…) pour améliorer la coloration du moût et sa saveur sans ajouter de sucres fermentescibles.
- Visez une densité initiale basse (entre 1,010 et 1,030).
Pour un empâtage à partir d'une base maltée à faible pouvoir diastasique, privilégiez les variétés Munich, Rye, Maris Otter ou Pale Ale, favorisant la colorisation du moût et lui apportant corps et saveur.
Pour un brassage à froid, les malts à deux rangs Pilsen ou Pale Ale peuvent être utilisés.
Concernant les malts spéciaux, leur choix dépendra du type de bière brassée. Il est en effet possible de brasser tout type de bière en No-Low, de l'IPA à la stout, en passant par la trappiste ou la blonde.
Indépendamment du style, l'ajout de blé peut être intéressant pour donner du corps au moût et favoriser la création de mousse.
Enfin, vous pouvez ajouter de la maltodextrine ou du lactose pour améliorer la saveur en bouche et le corps de votre future bière.
Le(s) houblon(s)
Dans les bières sans alcool ou à faible teneur en alcool, le houblon doit être dosé avec attention : l'ajout de houblons amérisants doit être limité, au profit de houblons aromatiques.
Le ratio IBU/DI (Densité initiale) permet de vérifier l'équilibre entre la douceur du malt et l'amertume du houblon. Plus il est bas, plus la bière sera douce, et plus il est élevé, plus elle sera amère.
Il se calcule selon la formule suivante : IBU/((DI-1) * 1000).
Dans le cas des No-Low, il est recommandé de viser un ratio compris entre 0,5 et 0,8 (voire légèrement supérieur à 1 pour une IPA).
Réussir son dry hopping
La question du houblonnage à cru dans les bières non alcoolisées ou faiblement alcoolisées est complexe et ne doit pas être prise à la légère, surtout pour les bières fortement houblonnées.
Le risque principal est celui de hop creep, c’est-à-dire la refermentation initiée par des enzymes provenant soit du houblon, soit d'une bactérie qui se logerait dans le houblon (y compris en pellet). Cela provoque un défaut au niveau du goût, la création de CO2 et, surtout, la modification du taux d'alcool.
Pour l'éviter, vous pouvez réaliser votre houblonnage à cru pendant trois jours à une température d’environ 10 °C. Vous pouvez aussi opter pour des extraits de houblon.
Les levures
Comme vu plus haut, les levures idéales pour des bières No-Low sont les souches dites sélectives, c'est-à-dire celles ne fermentant que les sucres simples (fructose et glucose) et délaissant les sucres plus complexes (maltose et maltotriose).
Ces levures sont dites maltose negative (ou maltotriose negative) et ne produisent qu'une toute petite quantité d'éthanol.
Voici une sélection de souches à faible atténuation, n'assimilant ni le maltose ni le maltotriose. Toutefois, elles ne sont pas (encore) disponibles en conditionnements adaptés aux brasseurs amateurs ou ne sont pas en vente en France au moment de la rédaction de ce guide.
Pour ces levures, la pasteurisation est obligatoire pour éviter qu'elles ne refermentent en bouteille.
Souche | Caractéristiques |
---|---|
Safbrew LA-01 (Fermentis) | Atténuation : 13 à 17 %. Levure à sédimentation moyenne, elle est caractérisée par un profil aromatique subtil. Existe seulement en sachets de 500 g ou de 10 kg |
LalBrew® LoNa™ | Atténuation : 16 à 20 %. Cette souche se comporte comme une levure ale, produisant un profil aromatique propre et neutre, sans arômes phénoliques, et réduisant de manière significative les aldéhydes qui provoquent des arômes de moût. Existe seulement en sachets de 500 g. |
White Labs WLP603 | Atténuation : env. 20 %. Levure liquide à sédimentation moyenne isolée à partir de pommes d'une île danoise. Elle peut donc être considérée comme une levure sauvage « apprivoisée » et produit une grande quantité d'esters. N'est pas encore commercialisée en France. |
White Labs WLP18 NA All Day® | Atténuation : env. 20 %. Levure liquide qui se distingue par sa production réduite d'acétate d'éthyle (ester à l'odeur fruitée). Elle est adaptée à tous les styles de bières. N'est pas encore commercialisée en France. |
White Labs WLP686 | Atténuation : env. 20 %. Levure liquide au profil neutre, plus lente que d'autres souches et qui produit peu d'esters. N'est pas encore commercialisée en France. |
D'autres levures, uniquement maltose negative, peuvent être utilisées, mais seront moins efficaces. Elles présentent toutefois l'avantage d'être plus facilement accessibles aux brasseurs amateurs. Parmi elles, on peut citer :
- SafAle™ S33 (Fermentis),
- SafAle™ F-2 (Fermentis),
- Lallemand Windsor™,
- ou encore Lallemand CBC-1™.
Ces souches sont disponibles sur notre site.
Nos conseils de brasseurs amateurs
Comment conditionner ses bières No-Low ?
La refermentation en bouteille est fortement déconseillée, car l'ajout de sucre peut faire significativement augmenter le taux d'alcool (jusqu'à 0,5 %).
Il est alors préférable d'opter pour une autre méthode de carbonatation : naturelle, avec la fermentation sous pression, ou forcée, grâce à l'ajout de CO2. La bière peut alors être conditionnée en fût.
Si vous n'avez pas de quoi forcer la carbonatation, votre unique option sera la refermentation en bouteille. Vous devrez alors anticiper dès la préparation de votre recette la production d'alcool supplémentaire lors de la refermentation.
Si vous avez pasteurisé votre bière avant son conditionnement en bouteille, vous devrez également ajouter des cellules de levure. Si ce n'est pas le cas, vous pouvez pasteuriser vos bouteilles une fois le taux de carbonatation désiré atteint, ce qui peut être complexe à estimer pour un brasseur amateur.
Faut-il rincer les drêches ?
Rincer ses drêches permet d'optimiser leur saccharification en extrayant le maximum de sucres.
Dans le cas d'une bière No-Low, on cherche à limiter la production de sucres fermentescibles. On peut donc se poser la question de l'intérêt du rinçage, qui risquerait d'en augmenter la quantité.
D'après l'expérience de Craig Dillon1, rincer ou non ses drêches n'a aucun impact sur le taux d'alcool final ni sur les qualités gustatives de la bière.
Cela peut s'expliquer par le fait que la quantité de drêche étant moins importante que pour une bière « classique », il y a moins de sucre à récupérer lors du rinçage.
Le rinçage peut donc être considéré comme superflu, ce qui vous économise des manipulations et des calculs. A fortiori si vous brassez en brew in a bag.
Pourquoi ne faut-il pas ajouter de fruits après la fermentation ?
L'ajout de fruits, qu'ils soient concentrés, en purée ou fraîchement pressés, est vivement déconseillé. Comme les levures maltose negative ou maltriose negative peuvent fermenter le glucose et le fructose de ces fruits, cela va affecter le titre alcoométrique du produit fini.
Si vous souhaitez tout de même ajouter des fruits à votre bière, l'ajout devra se faire en dessous de 2 °C, pour éviter la production excessive d'alcool. Une pasteurisation sera également nécessaire pour des raisons d'hygiène et de stabilité.
Une autre option consiste à utiliser des arômes naturels, constituant un bon compromis.
Sources
1 Les expériences de Craig Dillon sont à retrouver dans son guide « A Guide to Non-Alcoholic Brewing », volume 2 (en anglais). Nous vous recommandons également la lecture du volume 1 (également en anglais), très instructif, bien que moins complet.
2 Source : témoignage de Philippe Janssens, responsable technique chez Fermentis dans le podcast Le Pod'capsuleur du 27 janvier 2023, dédié à la production de bière sans alcool avec la levure SafeBrew LA-01.
3 Source : « Les sulfites, amis ou ennemis ? » sur btobeer.com
Crédit photo : Derek Wolfgram